Ce n’est pas mon identité

Rédigé par Rylee Hauger, atteinte de DT1

 

J’ouvre les yeux au son de la sonnerie. Je me retourne et regarde mon téléphone : « 00:00, test de glycémie ». Je soupire et prends ma trousse. Une journée de ma vie comme les autres. Je me pique le doigt, je regarde le sang imbiber la bandelette, j’attends le fameux compte à rebours qui s’affiche à l’écran. Je me sens bien, je ne sens ni d’hyperglycémie ni d’hypoglycémie; je prie en silence pour que mon taux de sucre soit dans les limites. « 5.6 » m’indique le minuscule écran. « Tant mieux », que je me murmure avant de tirer mes couvertures sur les épaules et de me rendormir. Ma glycémie est bonne. Je la vérifierai de nouveau au matin, avant de partir à l’école.

Je me réveille de nouveau, cette fois sans sonnerie. Mes draps sont complètement détrempés par la sueur, mes mains tremblent et je ressens un creux familier à l’estomac. Je sais ce qui m’attend en me levant pour prendre ma trousse pour la deuxième fois cette nuit-là. « 2.9 » m’indique le stupide écran. Je voudrais le lancer contre le mur. Comment mon taux peut-il être aussi bas? J’allais bien il y a trois heures, au moment de mon dernier test. J’attrape une collation pour rétablir la situation. J’attends 15 minutes avant de refaire un test : « 3.1 » m’indique l’appareil. Je lève les yeux au plafond et je prends une autre collation avant de retourner dans ma chambre pour la manger et attendre que cet épisode d’hypoglycémie prenne fin. Je veux juste me recoucher. Il est maintenant près de 4 h du matin et ma glycémie a assez remonté pour que je puisse enfin me rendormir.

Je sors du lit après avoir appuyé deux fois sur le rappel d’alarme. Il est maintenant huit heures moins le quart et je dois me préparer pour l’école. Une fois debout et sortie du lit, je ne me sens pas bien du tout. Oh non! Je cours dans ma salle de bain en désordre et je vomis tout mon repas de la veille. Je sais ce que cela veut dire. Après m’être lavée, je sors de la salle de bain et je retourne à ma chambre où je vérifie ma glycémie. « 19.1 », je jette le glucomètre par terre. J’ai envie de pleurer. Après m’être injecté quelques unités d’insuline, je reprends ma routine matinale et je m’apprête à partir. Compte tenu de mon matin chaotique et du fait que je ne devrais pas conduire avec un pareil taux de glycémie, je suis étonnée d’arriver à l’école à temps. Je prends mes livres et je me dirige vers mon premier cours, en me disant que la journée sera difficile. « Tu as bien mauvaise mine », me dit en riant ma meilleure amie Tessa.

« N’en parle même pas. » Je la préviens et je suis sérieuse. « Qu’est-ce qui ne va pas, Remy? », me demande-t-elle sincèrement. « J’ai fait de l’hypo toute la nuit et ce matin, j’étais hyper haute. ». « Pauvre toi, puis-je faire quelque chose? » Tessa est la personne la plus compatissante que je connaisse; j’aimerais pouvoir être un peu plus comme elle. « Oh, on échange nos pancréas, s’il te plaît ». « Tu sais bien que je le ferais si je le pouvais, Rem. » Je sais qu’elle le pense vraiment.

J’ai peine à finir mon premier cours sans tomber endormie. Ce n’est pas que le cours soit ennuyeux, je suis simplement épuisée de ma nuit. Je continue ma journée à l’école, il ne me reste plus qu’un cours et je pourrai rentrer chez moi. J’arrive à la maison vers midi. Mon taux de glycémie est bon, de sorte que je me fais à manger. J’ai une séance d’entraînement au volleyball en soirée à 19 h, j’ai donc quelques heures pour me détendre avant de devoir repartir.

Une fois à la séance d’entraînement du volleyball, je mets mes chaussures et mes genouillères, et je mesure une dernière fois ma glycémie avant de commencer. « 12.9 », me dit mon appareil. « Bon, ce n’est pas mal, que dis-je ma tête, le taux est un peu élevé, mais je vais m’injecter un petit peu plus d’insuline et travailler très fort. »

La séance commence et tout va bien; mon entraîneur nous dit de boire un peu d’eau, j’en profite pour vérifier de nouveau mon taux de glycémie. « 2.7 ». J’ai eu une journée en dents de scie. Je m’en tirais tellement bien dernièrement et c’est tellement décourageant d’avoir une journée comme celle-là quand on pense que tout va bien. « Eh entraîneur, mon taux est un peu bas, je dois m’asseoir quelques minutes », lui dis-je.

« OK, c’est comme tu veux, assied-toi », me dit-il rudement.

Je réagis à son commentaire en faisant simplement ce qu’il me dit. Zut, l’équipe s’apprête à faire un « ten up » comme aime le dire mon entraîneur, l’exercice le plus exigeant physiquement qu’on puisse imaginer. Je sais ce que se disent les autres : « Je ne peux pas croire que Remy a la permission d’éviter l’exercice juste parce qu’elle a le diabète », j’entends Émily murmurer. « Je sais, dit Sasha en levant les yeux au ciel, “c’est donc commode! On commence l’échauffement et tout d’un coup son taux de glycémie baisse. Ça m’a l’air d’un mensonge, je suis certaine qu’elle fait semblant”. Aïe, cette remarque fait mal. Je rate l’exercice, mais je réussis à finir les 40 dernières minutes de la séance.

En revenant chez moi après l’entraînement, je ne peux me retenir de pleurer. Ma journée va rester dans les annales. Comme si ma nuit n’avait pas déjà été assez difficile! La journée n’a pas été meilleure et les commentaires de mes pairs sont toujours aussi détestables. J’arrive dans l’allée, je donne un coup sur le volant, ce qui a pour effet de déclencher le klaxon. J’ai peut-être réveillé mes voisins. Je m’en fiche, j’ai eu une journée horrible et je veux juste abandonner. « Pourquoi moi? », je crie en regardant le ciel au travers de mon toit ouvrant, comme si je parlais à Dieu. « Parmi tous les gens, tu n’aurais pas pu choisir quelqu’un d’autre? Il est déjà assez difficile d’étudier au secondaire, pourquoi m’imposer tout ce fardeau en plus? ». Je me ressaisis, je monte les marches jusqu’à ma porte avant et j’entre dans la maison où m’attend ma mère. Ses traits s’adoucissent, car elle peut voir que j’ai pleuré. « Qu’est-ce qui se passe? Comment était la séance d’entraînement? »

« Comment était la séance?, dis-je d’un ton moqueur. La séance, c’était une balade dans le parc comparativement à ma journée. »

Je lui raconte ma journée et je n’omets sincèrement aucun détail.

« Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé avant, Rem? J’aurais tout fait pour t’aider », me dit-elle. « Je ne voulais pas que tu aies à t’inquiéter du drame de ta folle fille diabétique. » Je lui dis cela d’une voix tendue. « Rem, me dit-elle doucement, tu n’es pas ma fille diabétique », en simulant des guillemets avec ses doigts dans les airs. « Que veux-tu dire? Bien sûr que je le suis », que je lui réponds.

« Tu n’as pas compris, n’est-ce pas? » dit-elle. Je secoue la tête. « Tu as le diabète, mais tu n’es pas le diabète », m’explique-t-elle.

 « Tu n’es pas ma fille diabétique, me dit-elle. Tu es ma fille forte, courageuse et passionnée et le diabète n’est qu’une partie de ce que tu vis, Rem, ce n’est pas ton identité », me dit-elle calmement.

 « Ce que j’essaie de te dire, c’est que ce que tu vis ne te définit pas. Ton vécu ajoute à ton identité, il aide à te construire. Pour toi, Rem, ton vécu est que tu es actuellement une adolescente atteinte de diabète de type 1. Ce n’est pas qui tu es. Tu es forte, drôle, intelligente et magnifique », dit-elle.

« Je suppose, mais c’est tellement difficile à vivre. Quand je ne pense pas à tout le stress du secondaire, je pense au fait que je serai toujours à part en raison de cette maladie ». Je pleure. « Il est difficile de sortir et d’avoir une vie d’adolescente normale quand tu as toujours des aiguilles et un jus de pomme dans ta poche arrière. Je n’ai pas eu le droit d’aller dormir chez mes copines avant l’âge de 12 ans et d’avoir appris à m’injecter moi-même l’insuline. Je ne peux pas sortir et aller faire la fête avec mes amis parce que si quelque chose m’arrive et que personne ne sait comment réagir, qu’est-ce qui se passera? Je cours un plus grand risque de devenir aveugle ou de vivre une dépression. Maman, c’est dur, je sais que je vais mourir avant tous mes amis ».

« Je sais que c’est difficile et je ne peux même pas imaginer tout ce que tu ressens. Par ailleurs, personne n’est à l’abri des difficultés dans la vie. Toi, tu as celles-là. Je sais que c’est difficile et que cela peut être insupportable, mais je sais aussi que tu es très forte. Vis les journées une à la fois, célèbre les bonnes et ne ressasse pas les mauvaises. Tu peux laisser la maladie t’atteindre ou tu peux aussi la combattre et vivre ta vie. Je ne peux décider pour toi, mais écoute-moi lorsque je te dis que tu es plus que cette maladie », me dit-elle les larmes aux yeux.

Je me couche ce soir-là, rassurée. Je dois changer mon attitude, je sais que les mauvais jours, c’est plate, mais je dois avancer un jour à la fois. Je m’endors ce soir-là, fière de moi. Je sais que ça va aller.

J’ouvre les yeux au son de la sonnerie : “00:00, test de glycémie”. Je lève les yeux au ciel, je me dis “rebelote” et souris intérieurement.  

 

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